EXPERTISE. Impact économique du Confinement en Guadeloupe : Un « Rété a Kaz a zot» nécessaire mais potentiellement récessif
La propagation rapide du Covid-19 a conduit les gouvernements à prendre des mesures drastiques comme le confinement des populations. Une situation qui n’échappe à la Guadeloupe. Quels sont les effets du confinement sur l’activité économique de l’île ? Une expertise de Sebastien Mathouraparsad, Maitre de conférences à l’Université des Antilles (Guadeloupe) et de Bernard Decaluwé, Professeur associé à l’Université Laval (Canada).
H1N1, Ebola, Choléra, Grippe espagnole… les épidémies qui se sont généralisées à grande échelle ont entrainé avec elles des impacts économiques importants. Mais, à la différence de ce qui a pu être analysé dans ces pandémies, celle d’aujourd’hui frappe les économies en amont avec beaucoup plus de force puisque les autorités ont imposé des contraintes sévères à la mobilité des personnes afin de ralentir la propagation du virus. « Ça ressemble à une crise, avec les conséquences d’une crise mais ce n’est pas une crise ». L’économie est en sommeil, ou plus exactement en pause.
Plus de chômeurs ou plus de décès : c’est à ce genre d’arbitrage épouvantable qu’est soumis l’Etat. Et dans cette situation schizophrénique, que les personnes soient en incapacité de travail ou confinées chez elles, l’effet est le même d’un point de vue économique : une activité réduite.
Un choc de demande à dimension multiple
Il y a un choc de demande à dimension multiple. Trois composantes de la demande vont jouer un rôle important.
La première est la consommation finale des ménages qui représente 59% du PIB guadeloupéen en 2017 selon l’Insee. D’un côté, il se produit une surconsommation de biens dits « prioritaires » par peur du manque ou de pénurie (alimentaire, pharmacie). D’un autre côté, les consommateurs se font plus rares sur les marchés durant la période de confinement et il y a une chute de la demande de produits frais (fruits et légumes, poissonneries) des hôtes et restaurants.
La deuxième composante importante de la demande est l’investissement qui selon l’Insee, représente 18% du PIB régional en 2017. Composé à 65% de la demande en biens d’investissement construction, il va être en recul.
Enfin, les touristes qui représentent entre 4 et 5% du PIB ont déserté l’île.
Un choc d’offre à double-tranchant
Il y a un effet d’offre d’une double nature. En premier lieu, les secteurs visés par l’article 1er de l’arrêté du 14 mars 2020 (cafés, restaurants, spectacles, l’événementiel…) mais également les secteurs touchés par l’effet demande (les activités touristiques, l’hébergement hôtelier les transports de personnes le bâtiment ou les services marchands) sont très pénalisés. Ces secteurs représentent 37% de l’activité économique.
En second lieu, la fermeture des établissements scolaires et le confinement imposent aux parents le maintien à domicile et la garde de leurs enfants réduisent la productivité des travailleurs qui sont en télétravail. La productivité est par ailleurs affectée par les mesures de distanciation.
Des contre-performances macro-économiques qui rappelleraient 2009
Suite aux chocs négatifs de demande et d’offre, le PIB réel marque un recul de -6,9%, une baisse sensiblement plus forte que les résultats obtenus à l’échelle nationale pour un mois de confinement (-3% selon l’Insee et -2,6% selon l’OFCE).
Ces résultats économiques négatifs s’accompagneraient d’une détérioration de la situation des ménages avec une augmentation du taux de pauvreté monétaire qui passerait de 18,2% à 24,1%.
L’Etat prépare une économie «d’après-guerre»
C’est pour éviter les conséquences sociales et le marasme économique qui risque d’en résulter que l’Etat propose de mettre en place un important filet de sécurité : un fonds d’indemnisation de solidarité, une couverture des besoins de trésorerie à court terme (type reports de charges) et du chômage partiel.
Ce sont des mesures de plusieurs dizaines de milliards d’euros qui ont amené l’Etat à demander un emprunt auprès de la Banque centrale qui n’aura probablement guère d’alternatives que de faire tourner la planche à billets, au risque de créer de l’inflation. Le cas échéant, la BCE pourrait être tenté à moyen terme de relever les taux d’intérêt directeur surtout qu’ils sont à des niveaux très bas.
Et dans l’économie post-guerre, il y aura le remboursement de la dette par l’Etat qui passera à moyen terme probablement par des réductions de dépenses publiques, des hausses d’impôts (et une récupération pour partie des indemnités chômage partiel versées) et des politiques d’austérité… Quid alors du moral des entreprises ? Au sortir de la crise sociale de 2009, l’indicateur du climat des affaires des entreprises avait atteint son niveau le plus bas (une perte de plus de 40 points). Aussi, les entreprises pourraient de nouveau adopter un comportement
attentiste avant de relancer leurs investissements.
Mais un effet rebond est possible. La réduction de la consommation en temps de confinement implique des taux d’épargne des ménages plus élevés et probablement, des reports de consommation de biens et services (biens manufacturés, construction, etc.). Mais encore faut-il que la confiance soit installée entre les ménages et l’Etat car il ne faudrait pas les ménages anticipent une hausse des impôts qui découragerait la consommation.
Sébastien Mathouraparsad, Maitre de conférences a l’Université des Antilles (Guadeloupe), membre du réseau PEP
Bernard Decaluwé, Professeur associé à l’Université Laval (Canada), Personne ressource de PEP
Pour en savoir plus sur cette analyse : https://atom-eco.fr/les-notes/effet-economique-du-confinement-en-guadeloupe
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Auteur : Eline Ulysse